Mise en musique d’un texte d’environ 800 vers, cette œuvre conjugue deux éléments de traditions musicales populaires : la pastourelle et la bergerie. L’argument : au sortir d’un tournoi, un chevalier tente de séduire la bergère Marion, qui attend son amoureux dans un pré. Econduit à deux reprises, le chevalier passe sa colère sur Robin, l’amoureux de la belle, puis emmène celle-ci de force. Robin, d’abord couard (il ne se précipite pas au secours de Marion qui l’appelle à l’aide), se vante devant ses amis venus à la rescousse. Après cette pastourelle, tout se termine en une bergerie autour d’un festin paysan avec chants, jeux et farandole.
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« Le texte de Robin et Marion est connu par trois manuscrits de la première moitié du XIVe siècle, donnant trois versions sensiblement différentes de l’œuvre […] Avant l’écriture, il s’agissait de textes travaillés par un ou plusieurs groupes de ménestrels, tout à la fois chanteurs, danseurs, mimes, acteurs et musiciens […] Chaque joueur pouvait débiter des rôles de longueur variable, découpés au sein d’un ruban textuel versifié, mémorisé par l’ensemble des membres du groupe. » Darwin Smith parle d’une forme de « lutte versifiée, savamment préparée. » « L’existence de ces ’jeux’ marque l’apparition dans l’écrit de ces œuvres dramatiques préexistantes. » D. Smith explique en effet comme ces formes de compositions sont emblématiques de l’essor de l’écrit et de son appropriation par de nouvelles catégories de population : « [l’écriture manuscrite] se généralise par la présence de clercs instruits dans toutes le communautés, mêmes laïques, fussent-elles les plus petites dans le monde rural. On voit ainsi en Artois et en Picardie, à la fin du XIIe siècle, des villages et des communautés de communes louer à l’année les services d’un clerc « escrivain » pour leurs affaires. »
Apparaît alors une nouvelle classe de clercs, laïcs, dont fait partie Adam le Bossu (« On m’appelle Bossu, mais je ne le suis mie »), dit Adam d’Arras, dit Adam de la Halle (lien vers le site musicologie.org). Darwin Smith : « Probablement de la même génération que Robert II (1248-1302) comte d’Artois, son seigneur, dont il fut ’aimé, prisé et honnoré’ […] En tant que maître, Adam était l’un des rarissimes jongleurs ou ménestrels instruits à l’Université. L’attribution et le port de ce titre […] sanctionnaient l’acquisition d’un grade et marquaient l’appartenance juridique à la cléricature comme à la communauté des maîtres et écoliers. A l’inverse, le métier de jongleur relevait de pratiques non savantes qui ne nécessitaient ni culture ni grade universitaires. » Il faut comprendre ici à quel point est exceptionnelle la « convergence de capacités et d’identités » chez ce compositeur.
« Tout en conjuguant les éléments traditionnels de la pastourelle et de la bergerie, Robin et Marion est une œuvre qui fait éclater ses modèles […] ». Les dialogues de Marion « avec Robin comme avec le chevalier ont le souffle des sentiments vrais : quand il faut manger et se distraire des mots discrets disent des besoins simples […] L’ensemble du jeu donne à voir une totalité : l’amour, la confrontation des classes […], la présence familière ou inquiétante du monde animal […], la variété de l’expression (danse, chant, dialogues), les références à la dévotion (jeu de Saint Cosme) et à la royauté (jeu du roi qui ne ment). En ayant dépouillé ses modèles de leurs contenus de convention, l’œuvre est animée par la force d’une histoire universelle, dans les cadres étranges d’une société que nous cherchons encore à comprendre. »

Catherine B.
Micrologus au Musica Sacra International Mrktoberdorf, 1996